Dossier / L’enfer des « Tantie bagage » d’Abidjan

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«Tantie bagage», leur petit nom, leur phrase d’approche. Ces enfants que l’on rencontre dans nos marchés au quotidien ne sont pas aussi heureux qu’ils nous le font croire à travers leur sourire quand ils nous approchent. Découvrons leur environnement !

Les marchés d’Abidjan sont de plus en plus pris d’assaut par des enfants dont l’âge varie entre 07 et 16 ans. Ceux-ci opèrent dans les marchés, gares routières, et autres lieux des grandes villes, pas pour vendre ou faire des achats, mais pour porter les bagages des commerçants ou des clients. Ces derniers sont arrivés dans ce ´´ travail  suite à un abandon d’eux par les parents, par maltraitance, ou pour une raison quelconque. La plupart d’entre eux ont abandonné très tôt leurs familles biologiques, pour des familles d’accueil. Une fois dans ces familles, ils sont parfois victimes de maltraitance, d’abus sexuels et d’exploitation de leur travail. Obligés alors de quitter la maison, la rue devient leur refuge. Et se retrouvent alors à faire le travail appelé communément «Tantie bagage».

D’autres par contre vivent avec leurs familles biologiques mais sont analphabètes. Il y a une autre frange d’enfants qui pratiquent ce travail lors des vacances scolaires. Ces porteurs de bagages, à Abidjan, viennent des quartiers populaires peu favorisés économiquement. Adjamé, marché « Gouro », marché central, marché de Marcory sont leur point de chute. Un paquet de sachet plastique dans une main et dans l’autre, un foulard amortisseur, qui lui servira quand il devra porter la charge sur la tête. Le regard patrouilleur, ils sont facilement identifiables. Toujours aux aguets, la

concurrence est rude. Il s’agit pour ces enfants de porter des bagages. «Lourds ou légers, peu importe, l’essentiel est d’avoir une patronne  qui accepte de la compagnie pour faire son marché»,

commente Jean Dao, 10 ans. Visiblement, il est très heureux de faire ce travail et il ne le regrette pas parce qu’il n’a pas le choix. Poursuivant sa fierté de faire ce travail, il affirme que ses parents demandent à chacun de se débrouiller pour le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner familial. Il préfère au lieu d’aller voler, venir au marché accompagner les personnes qui peuvent lui donner quelque chose. Quant à Lauraine Yao, 12 ans, qui fait le même travail que Jean, elle a d’autres arguments. Selon elle « Je vis avec ma mère et cinq autres enfants à sa charge. Je ne fréquente plus l’école depuis le décès de mon père. Je viens donc au marché avec ma mère qui y vend et j’aide des femmes à porter leurs bagages », en fondant en larmes en souvenir de son défunt père et du fait qu’elle ne peut pas continuer les études. Le cas de Noëlle Sinan, 15 ans, élève en 3ème dans un collège de Koumassi, est plus alarmant « Je vis avec mon père et ma belle-mère. Ma mère est décédée. Ma belle-mère m’a demandé de faire ce travail pour me prendre en charge. Si je fais une recette de 500 FCFA par exemple, j’ai mon petit déjeuner pendant cinq jours », explique-t-elle.

Bintou Sylla quant à elle ne guette que les dames véhiculés qui sont plus généreuses. Elle propose ses services à une, deux, et c’est la bonne. Dame Yolande Yéo est séduite par la technique d’approche. Débute alors une longue et fastidieuse course. Des ignames, des bananes, mais aussi des morceaux de savon, des bouteilles d’huile et autres. «  Ce n’est pas lourd ? » lui demande la cliente. «  Non tantie, ça va !» répond la porteuse. Elle cache sa douleur. Son cou est plus que jamais strié mais, Bintou sourit à chaque question de la dame.1 heure, 1 heure 30 mn, 2 heures. Bintou transpire fortement. Son visage n’est plus du tout gai. Elle boude à présent. Raccompagnée à sa voiture, dame Yolande, lui tend un billet de 500 FCFA et lui adresse un remerciement. La jeune porteuse est un peu déçue car elle s’attendait à plus que cela. Un instant plus tard, elle est au marché pour récidiver. 3000 FCFA c’est la recette heureuse qu’elle reçoit ce jour-là. C’est la joie sur le visage de la petite, qui a toujours eu comme ses collègues une recette vacillant entre 300 et 1500 FCFA.

C’est de la débrouillardise honnête. Mais dans le fonds comme l’a signifié l’assistant social, Roland Koffi «Cette méthode surtout voulue par les parents de ces enfants peut être assimilée à de l’esclavage moderne. Car ce sont les parents ou tuteurs qui en tirent profit ».

 

Myriam Haby