Lors d’un meeting à Soubré, le samedi 22 juin dernier, le président du PDCI-RDA Tidjane Thiam a été très amer sur le recul de la Côte d’Ivoire au niveau du classement 2023-2024 de l’Indice de développement humain. Ses propos ont mis en émoi les dirigeants du RHDP et, chacun y est allé de sa réponse au président Tidjane Thiam. Certains, parmi eux, ont même osé dire qu’ils ne font rien avec ça. L’on se demande bien s’ils parlent en leur nom propre, au nom du RHDP ou au nom du gouvernement.
La réaction de certains responsables du RHDP est regrettable dans tous les cas, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » trouve maladroits, regrettables et peu honorables de tels propos qui, de surcroît, constituent une injure au travail d’évaluation fait par le Programme des Nations unies pour le développement. Même si l’on n’est pas d’accord avec ce que dit le rapport, on ne peut pas ne rien faire avec d’autant plus que les données du PNUD résultent de la compilation de celles de différentes sources dont le FMI, l’UNESCO, l’OIT, la Banque mondiale, l’UNICEF, l’OMS et l’OCDE, pour ne citer que celles-là.
Le citoyen ordinaire, de quelque bord politique qu’il soit, peut tenir de tels propos. Mais, ces propos ne doivent point venir d’un membre du gouvernement à qui le titre et la fonction imposent une attitude élégante et de dignité et de responsabilité républicaines respectueuse des instruments de la gouvernance mondiale qui permettent d’apprécier les politiques publiques. Imaginons le scandale que cela ferait si le Président de la République disait que lui et son peuple ne faisaient rien avec les rapports des instruments de la coopération technique multilatérale. Il y a des fonctions qui font qu’on ne parle pas comme on veut et, il faut le savoir.
On peut récuser ce rapport ; on peut porter des critiques sur ce rapport et ses indicateurs, encore qu’il faille en avoir les arguments. Mais, on ne peut pas dire qu’on ne fait rien avec ça. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » s’insurge avec force contre cette attitude.
Le RHDP veut entretenir la confusion pour brouiller les repères d’évaluation et noyer le poisson Les réalisations avancées par le gouvernement concourent, certes, au bien-être général dont la mesure est aussi liée au développement économique. Mais le bien-être, en lui-même, est influencé par de nombreux actifs (capital naturel, monétaire, humain, social…) listés par les économistes du développement. Pendant que le rapport du PNUD met l’accent sur l’espérance de vie, le niveau de vie et le niveau d’instruction, les défenseurs du gouvernement lui opposent l’accès à l’énergie et à l’eau potable et les investissements dans les infrastructures. Il est donc important, pour recentrer le débat, de dire ce qu’est l’Indice de développement humain et les matières qu’il interroge.
« L’Indice de développement humain est un indicateur, quoique sommaire, du développement humain ». Il « mesure la santé, le niveau d’éducation et le niveau de vie de la population ». C’est ce qu’indique l’Avant-propos du rapport 2023-2024 sur le développement humain intitulé « Sortir de l’impasse ». Dans le premier cas, l’indice mesure la possibilité d’avoir la vie longue et en bonne santé en se fondant sur l’espérance de vie à la naissance. Dans le second cas, il vérifie le niveau de scolarisation à travers le taux d’alphabétisation et la durée attendue de scolarisation. Dans le troisième cas, il apprécie le standard de vie ou vie décente ou encore niveau de vie, calculé à partir du PIB en tenant compte de la parité du pouvoir d’achat (PPA). L’Indice de développement humain, c’est donc quelque chose de très clair, précis et pas compliqué. On ne s’embrouille pas avec.
On te dit : « regarde dans telle direction et constate quelque chose ». Mais, tu préfères détourner le regard, regarder ailleurs et constater autre chose que ce qui t’est demandé. Après, tu dis que l’autre constate mal. C’est dans ce schéma, malheureusement, que nous sommes avec l’affaire de l’Indice de développement humain 2024 de la Côte d’Ivoire. Et pourtant, on se doit de se demander, par exemple, pourquoi l’espérance de vie a baissé en Côte d’Ivoire et comment on fait pour permettre aux ivoiriens de vivre longtemps et mieux. C’est tout simple. Les études élaborées par les instruments de la coopération technique multilatérale servent de boussole aux Etats pour améliorer leur gouvernance.
Ce que le rapport du PNUD dit de la Côte d’Ivoire, c’est que son rendement en matière de développement humain est largement insuffisant et même faible. Il y a une dépréciation de la valeur de la Côte d’Ivoire de 2023 à 2024. Le rapport du PNUD invite donc le pays à aller au-delà de ses capacités actuelles parce que les ivoiriens ne vivent pas bien. Voilà ce qui est demandé par le rapport et ce que demande aussi le président Tidjane Thiam dans un langage qui lui est propre. Les réponses apportées à ces préoccupations constituent de parfaits hors-sujets. L’arithmétique brandie par les uns et par les autres permet, en réalité, d’éviter d’aborder le fond du problème. Pourquoi il y a ce que décrit le rapport ?
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » tient à signaler aux dirigeants du RHDP et aux membres du gouvernement qui se sont prononcés sur le classement de la Côte d’Ivoire que tout ce qu’ils ont énuméré existe ; les évaluateurs en ont tenu compte et ont décidé, au niveau de leur grille d’appréciation, que la Côte d’Ivoire mérite le rang qu’elle occupe en 2024, en recul de 7 places par rapport à 2023. Et les données n’ont pas été produites ex nihilo pour que nos dirigeants en soient surpris. Elles proviennent des chiffres fournis aux organismes internationaux par l’Etat de Côte d’Ivoire lui-même.
Ceux qui pensent que ce dit le rapport du PNUD ne reflète pas la réalité sociale de la Côte d’Ivoire sont donc dans un déni de mauvais aloi. Il est demandé à la Côte d’Ivoire d’habiller d’humanité le libéralisme économique qu’elle applique pour que les ivoiriens vivent mieux et longtemps. C’est aussi simple que cela. C’est pourquoi le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » ne comprend pas la polémique de ces derniers jours. Messieurs les gouvernants, revoyez votre copie en matière de politique sociale. C’est ce que le peuple attend de vous. Cela, notre mouvement le réclame depuis des années et a écrit de nombreuses fois dans ce sens.
Pourquoi le président Thiam doit parler de l’importance de l’humain en matière de gouvernance ?
Est-ce un fait à saluer ou à minorer lorsque la Côte d’Ivoire passe de la 159e place à la 166e place, avec un pays comme Haïti et ce que l’on sait de lui qui est huit fois mieux classé qu’elle ? Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » répond « non » à cette question.
Au demeurant, le président Tidjane Thiam est dans son rôle lorsqu’il pointe du doigt ce mauvais rang occupé par la Côte d’Ivoire qui n’honore aucun ivoirien. La Côte d’Ivoire est classée dans la catégorie du développement humain faible. Le président Tidjane Thiam a le devoir de dénoncer ce recul de la Côte d’Ivoire parce qu’au-delà de son statut de leader politique qui lui impose de se montrer préoccupé des problèmes de son peuple (il n’y a rien de populiste dedans), il fait partie, et c’est important de le souligner, du Conseil pour un capitalisme inclusif mis en place par le Vatican, lequel vise à « créer une économie plus humaine » et à favoriser, dans le monde, « un développement humain intégral » avec une vision vertueuse de l’économie de marché.
En tant que l’un des « gardiens » qui se sont engagés à « réformer le capitalisme (…) pour le bien de l’humanité », il a le devoir moral et humain d’être sans concession avec toutes les politiques qui creusent les inégalités, qui dégradent le niveau de vie et l’espérance de vie et augmentent les niveaux de pauvreté, toutes choses qui sont prises en compte dans les évaluations du PNUD. Il ne peut pas s’être engagé devant Sa Sainteté le Pape François à « promouvoir une économie plus juste et plus humaine », à « servir le bien commun en cherchant à accroître les biens de ce monde et à les rendre plus accessibles à tous » pour un ordre social plus juste et plus équitable favorisant le développement durable et voir les populations comme celles du Bas-Sassandra qui produisent de la richesse ne pas en bénéficier et se taire. Ses engagements publics doivent refléter ses convictions éthiques et économiques. C’est ce qui est attendu de tous les « gardiens ».
Le président Tidjane Thiam doit donc parler si une politique rend les ivoiriens plus vulnérables, plus pauvres, réduit leur espérance de vie et minore le capital humain. Le défenseur du capitalisme à visage humain qu’il s’est engagé à être ne peut nullement accepter cela. Il n’aurait pas trouvé l’opportunité de donner son avis sur l’Indice de développement humain de la Côte d’Ivoire qu’il aurait porté le discrédit sur sa personne. C’est une ligne politique à laquelle il ne peut déroger. Ceux qui pensent qu’il devrait être complaisant parce qu’il appartient à l’élite mondiale se trompent.
Les réactions observées ont un fond philosophique clair
Au-delà de la politique politicienne qui peut expliquer les diverses réactions observées, il faut dire que se joue en Côte d’Ivoire un conflit entre deux modèles capitalistes dont l’un ne s’est pas encore totalement exprimé pour qu’on l’apprécie. Nous avons, d’une part, le modèle néo-américain enrichi de l’idéologie néolibérale qui privilégie le financement de l’économie par les marchés financiers (et creuse les déficits budgétaires), avec un faible intérêt accordé aux politiques de progrès social parce qu’il est attaché aux profits à court terme. Ce capitalisme provoque d’importantes inégalités sociales. La recherche du profit à court terme le pousse à privilégier le financement des infrastructures remboursé par la tarification de l’usage (exemple des péages). Décrié depuis des années, ses limites sociales ont nécessité la mise en place, par la gouvernance internationale, d’instruments d’évaluation accordant un peu plus d’intérêt à l’humain.
Nous avons, d’autre part, le modèle inspiré du capitalisme rhénan qui cherche à accorder plus d’importance aux conditions sociales et à rendre moins fortes les inégalités sociales et pour qui les actifs du développement ne se limitent pas aux infrastructures mais portent aussi sur le financement et le développement à long terme des entreprises. « Ce modèle cherche à concilier les mécanismes de marché et le progrès » (Stéphane Dang et Astrid d’Halluin).
Cette question philosophique comme arrière-plan des politiques économiques est importante. Déjà, en 2021, le PNUD soulignait que la Côte d’Ivoire avait des efforts à faire en matière de santé, d’éducation et de niveau de vie des populations. Son rapport avait sanctionné la politique sociale du Président Ouattara. Les données fournies par ce programme des Nations unies montraient que la part de revenu des 40% de la population (les plus pauvres) est passée de 7,53% en 2010 à 7,19% en 2021 quand celle des 10% de la population (les plus riches) a vu sa part de revenu s’accroître ; passant de 49,71% en 2010 à 54,66% en 2021 contre 49,71% en 2010.
C’est une constance du régime RHDP qui veut qu’avec lui, les pauvres s’appauvrissent et les riches s’enrichissent. Le creusement des inégalités sociales est ainsi une marque distinctive du RHDP qui, de l’avis général, n’entend pas les cris de détresse des ivoiriens. Le modèle capitaliste qu’il applique est de type oligarchique : il protège et enrichit une très petite minorité du clan ou du camp. C’est cette tare que pointent du doigt le rapport du PNUD et le président du PDCI-RDA.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » partage le point de vue du président Tidjane Thiam qui va dans le sens de ce que l’opposition a toujours soutenu à propos du pouvoir Ouattara. Logiquement, aucun ivoirien ne devrait se sentir heureux de ce classement encore moins s’offusquer que l’on en parle. Comme le souligne le Pape François dans son discours du 11 novembre 2019 aux membres du Conseil pour un capitalisme inclusif, « le véritable développement ne peut se limiter à la seule croissance économique, mais il doit favoriser la promotion de chaque homme et de tout homme ».
En Côte d’Ivoire, il se pose, un réel problème de répartition des fruits de la croissance captés par une minorité pendant que la majorité de la population souffre et limités aux grands centres urbains. Cette majorité n’entend pas les gémissements des pauvres. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » pense que la philosophie des économies de marché coordonnées peut aider à penser un ‟algorithme” politique et économique de répartition juste des fruits de la croissance.
Fait à Abidjan, le 02 juillet 2024.
Pour « Les Démocrates de Côte d’Ivoire ».
Le Président
Pr. Séraphin Prao