Dans une brève allocution rendue publique le dimanche 12 novembre dernier, le premier ministre Soro Guillaume a fait part de son intention de mettre fin à son exil et a décrit la situation de fugitif dans laquelle il s’est retrouvé après son retour manqué du 23 décembre 2019. Cette allocution interpelle et amène le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » à faire les réflexions qui suivent pour inviter à privilégier la voie de la paix et du dialogue.
Une contradiction qui a atteint le stade de l’antagonisme
Tel qu’exposé dans son allocution du dimanche 12 novembre 2023, l’état exécrable des rapports entre le premier ministre Soro Guillaume et le Président Alassane Ouattara montre que la contradiction entre les deux pôles qu’ils constituent l’un et l’autre a atteint le stade ultime de l’antagonisme. Dans la logique des contradictions, l’antagonisme se résout par le choc et la disparition de l’un des deux pôles contradictoires.
En République de type occidental, maintenant adoptée par les pouvoirs africains, l’on broie l’adversaire à éliminer en se servant des instruments de la République, notamment la justice et les polémiques médiatiques. En République de type africain ancien, c’est la force des armes qui impose la paix et la disparition de l’autre pôle contradictoire. C’est ce qui s’est passé au Congo-Brazzaville, de juin 1997 à octobre 1997, entre Pascal Lissouba, le président en exercice, et Dénis Sassou Nguesso, l’opposant, et qui a vu le second l’emporter au prix de centaines de milliers de morts.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » n’adhère, dans le contexte ivoirien, à aucune de deux logiques qui engendrent un climat politique délétère. Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », une troisième voie existe, de la paix, pas par la guerre, pas par l’élimination de l’adversaire politique par les instruments de la République, mais par le dialogue, le compromis politique qui place l’intérêt supérieur de la Nation au-dessus des considérations partisanes, politiciennes et personnelles. Cela a été possible sous le président Laurent Gbagbo.
Le modèle Laurent Gbagbo
Quel est, dans ce pays, le chef d’Etat qui a le plus souffert des manigances de ses opposants, qui a toutes les raisons d’en vouloir à tous ceux, quels qu’ils soient, qui lui ont fait subir ce qu’il a vécu ? Il s’agit bien du président Laurent Gbagbo dont le régime a été ébranlé par l’attaque du 19 septembre 2002, qui a perdu son honneur d’homme et de chef de l’Etat en 2011, qui a failli perdre la vie sous les bombes françaises, qui a perdu de nombreux parents, amis, collaborateurs et partisans. Son épouse et son fils ont vécu des situations humiliantes inimaginables. Lui-même a été traité et brandi comme un trophée de guerre et exhibé comme un animal de cirque. Il a souffert des conditions carcérales à Korhogo, puis, à la Haye en Hollande. Quel homme politique, dans ce pays, peut dire qu’il a vécu le quart de ce que le président Laurent Gbagbo a vécu ? A la connaissance du mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », il n’en existe pas, même si le martyr des autres n’est pas du tout à négliger. Un tel homme est en droit d’en vouloir pour toujours à tous ceux qui sont responsables de ce que lui et les siens ont vécu.
Mais, face à tout cela, qu’a fait le président Laurent Gbagbo lorsqu’il était encore aux affaires et lorsqu’il est rentré de la Haye ? Il a fait preuve d’une grandeur d’âme exemplaire. Il a offert son pardon aux auteurs et commanditaires de la situation dans laquelle lui, ses partisans et son régime se sont retrouvés. L’histoire retiendra de lui, lorsque les archives des coups politiques seront ouvertes, qu’il a été un homme de paix et un humaniste vrai qui ne réfléchit pas seulement en termes d’intérêts propres ou d’un régime à sauver ou à maintenir coûte que coûte au pouvoir mais qu’il a raisonné en homme d’Etat, en termes d’intérêts du pays pour préserver sa stabilité.
Quand les intérêts personnels ou d’un régime priment l’intérêt général, l’on ne fait que tirer sur la corde avec entêtement. Or, toute corde trop tendue finit toujours par se rompre. C’est un fait et c’est ce que le président Laurent Gbagbo a parfaitement et intelligemment compris en son temps en optant pour la paix et l’intérêt général.
L’Ivoirien n’aime pas la guerre mais on veut le maintenir dans le bellicisme permanent
L’Ivoirien est, par nature, un homme de paix et n’aime pas le bellicisme perpétuel. L’Ivoirien aime la vie, la joie et l’humour. Qui connaît ou a appris l’histoire du peuplement de la Côte d’Ivoire sait pourquoi tous les peuples qui y vivent ont choisi ce havre de paix et pourquoi le vivre en paix est une valeur cardinale pour eux. C’est ce vivre-en-paix qui explique l’hospitalité ivoirienne et l’intégration réussie des peuples voisins qui a gommé leurs origines étrangères. Le président Félix Houphouët-Boigny connaissait si bien cette histoire collective qu’il a fait de la recherche de la paix et de la concorde nationale le socle de son pouvoir.
Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », la contradiction qui perdure entre le premier ministre Soro Guillaume et le Président Alassane Ouattara ne fait pas honneur à la Côte d’Ivoire et à son histoire ni ne la grandit aux yeux des autres nations du monde. Nous avons le mot « paix » à la bouche, avons même dédié une journée à la paix, à savoir le 15 novembre de chaque année, mais nos cœurs restent enflammés par la rage et le bellicisme envers le frère, le père ou le fils qu’on disait pourtant aimer et chérir.
Cette ambiance malsaine qui nourrit toutes les manœuvres politiciennes déloyales d’élimination des candidats qui gênent est déplorable et inacceptable parce qu’elle transforme le pays en poudrière permanente où ceux qui ont le pouvoir en abusent et écrasent les autres parce que c’est leur tour d’être forts. La Côte d’Ivoire qu’a bâtie le président Félix Houphouët-Boigny ne mérite pas cela. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » n’accepte pas non plus cela et ne souscrit pas à toutes les manœuvres dolosives de confiscation du pouvoir d’Etat ou d’accession au pouvoir qui exploitent les entourloupes juridiques ou le bellicisme permanent et créent une atmosphère de peur et de terreur généralisée et de troubles permanents.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » demande à tous ceux, guides religieux et dignitaires traditionnels, dont la voix compte quelque peu d’intervenir dans ce problème pour que les ivoiriens respirent. Par ailleurs, malgré tout ce qu’il a subi, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » croit le président Laurent Gbagbo capable d’interpeller tout le monde pour que l’on sorte de la logique des coups bas politiques et ce, dans l’intérêt de la nation, même s’il est peu sûr qu’il soit entendu parce que la Côte d’Ivoire s’est doté d’un personnel politique sourd à tout ce qui ne va pas dans le sens de ce qu’il veut entendre, même si c’est la voix de la raison. Il faut apaiser les cœurs et désamorcer toutes les bombes quelles qu’elles soient. L’on doit sortir de la politique belliqueuse pour privilégier l’intérêt national. L’intransigeance des uns et des autres satisfait les cœurs mais nuit à la Nation et au vivre-ensemble.
Attention à l’épouvantail et à l’invariant de la politique ivoirienne
La scène politique ivoirienne se caractérise par des variables que constituent les régimes qui se succèdent et un invariant doté de capacités motrices dont nul ne maîtrise le développement et l’amplitude dans le jeu politique. Cet invariant tient son pouvoir de l’existence d’un épouvantail pour chaque pouvoir et à chaque pouvoir.
Le président Laurent Gbagbo a été, en son temps, l’épouvantail du pouvoir Houphouët-Boigny. Le Président Alassane Ouattara a été, lui, l’épouvantail des régimes Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, le premier ministre Soro Guillaume est devenu l’épouvantail du régime Ouattara. Les événements ont imposé la contradiction entre lui et le Président Alassane Ouattara comme la contradiction principale dans la dynamique politique d’une Côte d’Ivoire qui se cherche un nouveau héros, un nouveau messie après l’essoufflement des anciens messies dont il ne semble plus rien attendre.
Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », ce que tout ivoirien doit comprendre, c’est que la présence dans le jeu politique d’un épouvantail créé, le plus souvent, par les pouvoirs en place eux-mêmes parce qu’ils veulent empêcher un concurrent d’occuper un quelconque espace politique ou qu’ils veulent renforcer leur emprise nationale et conserver durablement le pouvoir est l’un des invariants de la politique ivoirienne. Et tout invariant a une valeur structurante dans l’histoire politique de la Côte d’Ivoire. Par ce fait simple, l’invariant acquiert une dimension quasi divine comme l’intervention du divin dans les affaires ivoiriennes.
L’histoire a montré, si l’on analyse l’évolution politique de ces quarante dernières années, que l’invariant ressurgit toujours lorsque se présente une situation de blocage politique ou de crise où la demande pour le bien politique est forte mais reste non satisfaite et l’avenir, incertain. Le peuple a besoin d’une nouvelle classe politique, d’une nouvelle offre politique mais, en lieu et place d’un nouveau projet de société porté par des hommes nouveaux, l’ont lui offre et lui sert toujours la même vieille garde et les mêmes rengaines politiques qu’il ne connaît que trop. Les dirigeants politiques en Côte d’Ivoire n’ont toujours pas compris le peuple qu’ils gouvernent et ne savent pas partir quand il le faut. L’invariant est alors ce qui capitalise les frustrations et les attentes nationales et populaires. Quel est son rôle ?
L’invariant a pour rôle de dynamiser le jeu politique qui se sclérose au fil des ans sous le poids écrasant d’un régime qui envahit sans partage tout l’espace médiatique, politique et sociologique et veut faire disparaître toute opposition sans rien proposer de nouveau et avec toujours les mêmes tares que jamais n’ébranle la critique. L’invariant fonctionne comme un mécanisme d’ajustement politique avec un rôle d’optimisateur de la vie politique en Côte d’Ivoire.
Ce mécanisme est loin d’être le résultat du hasard des choses. Il est porteur des attentes non satisfaites quand les populations ont l’impression que le pouvoir ne les écoute pas ni n’entend leurs cris de détresse et se greffe sur une contradiction existante et qu’il amplifie. Il est connu qu’aucun pouvoir n’a su réagir convenablement lorsque cette donnée a surgi dans le paysage politique ivoirien puisque personne ne veut céder sur rien ni ne cherche à modifier ses choix alors que le rôle de l’invariant est justement de pousser à un changement politique ou à changer de trajectoire ou d’hommes en passant le pouvoir à une nouvelle classe politique.
L’invariant ou « la main invisible » dans le jeu politique ivoirien
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » constate que c’est parce que les pouvoirs politiques pensent d’abord et avant tout « régime politique » que cet invariant est constant dans le paysage politique ivoirien. Parce qu’Houphouët-Boigny en fin de règne était un homme de paix et avait face à lui un homme qui croyait au pouvoir des mots qui transforment les esprits et apportent le changement escompté que la Côte d’Ivoire a été épargnée des crises qu’elle a connue par la suite. Aujourd’hui, le seul pouvoir des mots se révèle insuffisant pour apporter du changement parce que le jeu politique est verrouillé, cadenassé, sans possibilité de déblocage que par l’intervention d’un messie. Chaque fois que le jeu politique s’est ainsi constitué en Côte d’Ivoire, le cadenas a été cassé par l’invariant et d’une manière inattendue, non prévue.
L’invariant, pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », c’est « la main invisible » dans le jeu politique ivoirien. C’est le jeu de l’irrationnel dans la rationalité politique ivoirienne. C’est un élément naturel, stable de la politique ivoirienne auquel tout pouvoir qui dure finit par se confronter d’une manière ou d’une autre. La formule populaire ivoirienne « il y a Dieu dedans » convient mieux pour qualifier cette donnée qui ressurgit chaque fois que rien n’avance et qui change le paysage politique et rend la politique attrayante. C’est pourquoi nul n’a jamais pu vaincre le porteur d’un invariant qui pose toujours un problème de valeurs au pouvoir en place.
Le porte-étendard de l’invariant est toujours apprécié sous l’angle de la valeur ; ce qui fausse et rend maladroite la réponse qui lui est toujours apportée : la répression judiciaire. Les voies du divin sont insondables. Il se préoccupe très peu des appréciations humaines sur la qualité du produit humain utilisé pour accomplir une mission nationale. Que n’a-t-on pas dit de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara alors dans l’opposition ? Les hommes les ont abaissés, vilipendés et déclarés finis mais Dieu les a élevés à la surprise générale.
Les stratèges du pouvoir RHDP peuvent élaborer tous les scénarios possibles pour neutraliser ou éliminer Soro Guillaume du jeu politique. Mais le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », sans être doté d’un pouvoir de divination, craint que tout cela ne soit vain en fin de compte. Tous les pouvoirs ivoiriens, sauf celui d’Houphouët-Boigny qui savait astucieusement exploiter la puissance du pardon, ont été aspirés et emportés par la force déstabilisatrice de cet invariant qui leur a imposé sa logique et sa dynamique.
Si le RHDP veut éviter de tomber dans les erreurs stratégiques des pouvoirs passés et de fabriquer un épouvantail devant lequel il sera un nain, il ne doit pas chercher à résoudre le problème Soro Guillaume par la force ou par la case prison. Le mandat d’arrêt international comme celui qui a existé à l’époque, en 1999, pour « faux et usage de faux » apparaît toujours comme un catalyseur qui érige la victime en martyr. Il ne faut jamais perdre de vue que l’invariant, lorsqu’il surgit, est toujours porteur de nouveaux espoirs et de nouvelles attentes politiques populaires. Il est porté par la voix silencieuse des masses en attente d’un messie. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » appelle donc à une approche du problème Soro Guillaume avec beaucoup de sagesse. Ceux qui appelaient en 1999 à un règlement politique ont eu raison de tous les va-t-en-guerre de tout acabit cantonnés dans une approche strictement juridique. Nous n’avons pas le droit d’oublier notre passé. Ce serait un crime contre nous-mêmes.
Le passé ne doit pas s’effacer de notre mémoire
Il est facile de dire que le premier ministre Soro Guillaume n’a qu’à rentrer en Côte d’Ivoire pour faire face à la justice de son pays. Mais s’il rentre, il faut bien que son intégrité physique soit garantie. Il faut bien qu’il soit libre de ses mouvements. Il faut bien qu’il jouisse de ses droits civiques ou politiques. Parce qu’il a le pouvoir, le RHDP a le devoir de lui garantir ce minimum et de lui faire, en retour, ses demandes de garanties. Le RHDP lui doit bien cela puisqu’il a fallu le kyste qu’il a créé à Bouaké avec ses compagnons pour que le RHDP soit aujourd’hui à la tête de la Côte d’Ivoire.
L’histoire a montré que le grand bénéficiaire de ce kyste, c’est le RHDP et non la personne de Soro Guillaume. La récompense par des postes pour services rendus ne devrait pas mettre fin à la dette du RHDP envers Soro Guillaume. Sans sa fougue juvénile qu’il a sacrifiée sur l’autel des ambitions de tiers, le RHDP n’aurait jamais accédé au pouvoir d’Etat parce qu’il avait été dit, dans ce pays, et des gens en étaient convaincus, que le Président Alassane Ouattara ne deviendrait jamais président de la République en Côte d’Ivoire.
Que l’on soit d’accord ou pas avec cette approche, les faits restent têtus. Le dire, ce n’est en rien faire l’apologie des prises de pouvoir par les armes. Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », il s’agit, tout simplement, de développer un argumentaire susceptible de créer les conditions de la détente et de la paix.
Le premier ministre Soro Guillaume a tordu le bras à la Côte d’Ivoire pour que le président Laurent Gbagbo torde le cou à la Constitution afin que le président Alassane Ouattara soit candidat à une élection présidentielle alors qu’il avait appelé à voter « oui » à ladite constitution qui l’éliminait et que la direction de la commission électorale lui soit accordée pour faciliter sa prise du pouvoir. Aujourd’hui, il y a des tentations au révisionnisme. Aujourd’hui, certaines personnes prétendent que si dette il y a, c’est envers la France dont l’activisme était débordant d’énergie alors que l’on sait que la France n’intervient pas dans les affaires africaines sans une main noire pour être devant, pour faire le boulot et servir de couverture à son entourloupe. Cet argument est, d’ailleurs, irrecevable et ne saurait dédouaner le RHDP et le disculper auprès de l’opinion publique.
Finissons-en avec le bellicisme !
Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », il faut en finir avec le cas Soro Guillaume qui tient tout un peuple en haleine. Comme de nombreux ivoiriens, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » est exaspéré par sa persistance. Si les uns et les autres ne veulent pas entendre raison et s’entendre autour d’une table, alors advienne que pourra. Les ivoiriens sont fatigués de cette prise en otage de la Côte d’Ivoire par le bellicisme permanent qui a transformé le vivre-ensemble en vivre les uns à côté des autres dans l’hypocrisie la plus totale et dans l’attente d’une occasion pour exprimer la rage qui ravage sournoisement les uns et les autres et pétrifie les cœurs.
Fait à Abidjan, le 18 novembre 2023.
Pour « Les Démocrates de Côte d’Ivoire ».
Le Président
Pr. Séraphin Prao